La monarchie constitutionnelle française 1789-1792
Un compromis impossible entre tradition et révolution
Entre 1789 et l’été 1792, la France traverse une séquence décisive où la monarchie absolue tente de se réinventer sous la forme d’un régime constitutionnel fondé sur une séparation des pouvoirs, un exécutif royal limité et une représentation nationale souveraine. L’ambition semble réalisable après des décennies d’échecs ministériels face à une fiscalité inégalitaire et un déficit chronique qui ont fragilisé l’absolutisme. La convocation des états généraux le 8 août 1788, précipitée par le refus de l’assemblée des notables d’accepter les réformes fiscales, marque la rupture. Lorsqu’ils s’ouvrent le 5 mai 1789 à Versailles, la détermination du tiers état annonce déjà un basculement du centre de gravité du pouvoir qui va bouleverser l’ordre ancien.
Le 17 juin, le tiers état se proclame assemblée nationale en affirmant représenter la souveraineté du peuple. Trois jours plus tard, le serment du jeu de paume engage les députés à doter la France d’une constitution, renversant la légitimité traditionnelle au profit de la volonté nationale. La prise de la Bastille le 14 juillet transforme le paysage politique en consacrant la force d’un acteur nouveau, la nation armée, tandis que le roi perd l’usage de la coercition militaire dans sa capitale. La nuit du 4 août abolit les privilèges féodaux (Podcast). La déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée le 26 août énonce des principes universels qui obligent le futur cadre constitutionnel à rompre avec l’absolutisme. Les 5 et 6 octobre, la foule parisienne marche sur Versailles et contraint la famille royale à s’installer aux Tuileries sous la surveillance de la capitale, plaçant désormais la relation entre exécutif royal et représentation nationale sous la pression directe de l’opinion publique parisienne.
Les failles d’un édifice fragile
L’année 1790 voit l’assemblée procéder à une refonte complète de l’administration territoriale où les départements, districts et communes remplacent les anciennes provinces dans une organisation rationnelle et uniformisée. La fête de la fédération du 14 juillet 1790 apparaît comme le moment de plus grande cohésion en réunissant le roi, l’assemblée, la garde nationale et les fédérations venues de tout le royaume. Pourtant, la constitution civile du clergé adoptée le 12 juillet introduit une faille majeure. En réorganisant l’église selon des principes électifs et en exigeant un serment à la constitution, l’assemblée provoque un conflit religieux profond qui crée une église constitutionnelle d’un côté et une église réfractaire de l’autre, fracture qui affaiblit durablement la cohésion nationale et la position du roi.
L’année 1791 constitue le tournant décisif. Dans la nuit du 20 au 21 juin, la famille royale tente de fuir Paris pour rejoindre Montmédy mais l’arrestation à Varennes provoque un choc immédiat qui brise la confiance politique entre la représentation nationale et l’exécutif monarchique. L’assemblée choisit pourtant de ne pas déclarer la déchéance du souverain dans un compromis délicat visant à préserver la constitution encore inachevée, mais cette décision alimente le ressentiment populaire comme en témoigne la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet. La constitution achevée le 3 septembre institua une monarchie constitutionnelle où le roi dispose d’un veto suspensif, mais la crédibilité du serment prêté par Louis XVI le 14 septembre est déjà entachée par les crises non résolues.
L’effondrement sous la pression de la guerre
La dernière phase se déroule en quelques mois au début de 1792. La guerre déclarée à l’Autriche le 20 avril bouleverse l’équilibre interne et les premiers revers altèrent la confiance publique. En juin, le roi oppose son veto à plusieurs décrets visant les prêtres réfractaires, geste conforme à ses prérogatives mais interprété comme une trahison. Le 20 juin, une foule envahit les Tuileries dans une intrusion pacifique mais spectaculaire qui révèle la vulnérabilité de l’exécutif. Le manifeste de Brunswick publié le 25 juillet, qui menace Paris de représailles si le roi est maltraité, déclenche une flambée de colère en apparaissant comme une preuve de collusion entre royauté et puissances étrangères.
Le 10 août, les insurgés parisiens prennent d’assaut les Tuileries dans une violence qui provoque de lourdes pertes. L’assemblée suspend le roi de ses fonctions et convoque une convention nationale. Le 21 septembre, la monarchie est abolie. La constitution de 1791 cesse d’avoir effet et le régime disparaît officiellement après trois ans d’une expérience politique capitale mais fragile qui n’a jamais trouvé la stabilité nécessaire à son enracinement, laissant pourtant un héritage durable dans l’histoire constitutionnelle française.
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