Le calendrier républicain 1792-1806
Quand la Révolution a voulu refonder le temps
Illustration : Calendrier Révolutionnaire
Une rupture avec l’ordre ancien
En 1793, la convention nationale franchit un seuil inédit. Abolir la monarchie ne suffit plus. Il faut effacer jusqu’aux traces du temps chrétien, ce rythme millénaire scandé par les dimanches et les saints. Le calendrier grégorien porte en lui l’empreinte de l’ancien régime. Les révolutionnaires l’abandonnent. Ils créent un système entièrement neuf, appliqué rétroactivement depuis le 22 septembre 1792, jour de proclamation de la république.
Cette réforme s’inscrit dans l’élan rationaliste des lumières. Le temps doit devenir mesurable, régulier, débarrassé de toute sacralité. Charles Gilbert Romme, mathématicien et député, pilote le projet aux côtés de savants comme Monge et Lagrange. À leur rigueur scientifique s’ajoute la touche poétique de Fabre d’Églantine, qui baptise les mois et les jours d’après les cycles naturels. Vendémiaire évoque les vendanges. Nivôse rappelle les neiges. Floréal célèbre les fleurs du printemps.
Une architecture temporelle audacieuse
L’année républicaine commence à l’équinoxe d’automne, symbole d’équilibre entre jour et nuit. Douze mois de trente jours, divisés en trois décades. Plus de semaines. Le dimanche disparaît au profit d’un repos tous les dix jours, censé accroître la productivité. Chaque jour porte le nom d’une plante, d’un animal ou d’un outil agricole. Le dixième jour honore un instrument champêtre.
En fin d’année, cinq ou six jours complémentaires célèbrent les valeurs républicaines. La vertu, le travail, le génie. Ces sans-culottides incarnent la morale civique du nouveau régime. Tout est pensé pour ancrer le citoyen dans un rapport rationnel à la nature et au labeur collectif, loin des références religieuses.
L’arme de la déchristianisation
Supprimer le dimanche constitue un acte révolutionnaire majeur. En brisant le rythme liturgique, l’état révolutionnaire entend effacer l’église de la sphère publique. Les fêtes civiques remplacent les célébrations chrétiennes. Le calendrier devient un instrument de combat idéologique, un outil de pédagogie républicaine imposé à toute la nation.
Dans les administrations, l’application est rigoureuse. Décrets, actes notariés, registres d’état civil adoptent la nouvelle datation. Mais sur le terrain, les résistances s’accumulent. Les paysans peinent à abandonner les rythmes des foires et des marchés. Les commerçants dénoncent la confusion dans les échanges avec l’étranger. Le clergé y voit une attaque frontale. Le temps officiel de la république se heurte au temps vécu des populations.
Une utopie éphémère
L’expérience ne dure guère. Napoléon Bonaparte, soucieux de réconcilier la France avec l’église, décide le retour au calendrier grégorien le 1er janvier 1806. Treize années seulement. Pourtant, l’empreinte demeure. Thermidor et Brumaire restent gravés dans la mémoire historique nationale.
Cette tentative de refonder le temps illustre l’ambition prométhéenne de la révolution française. Elle révèle aussi les limites de l’ingénierie sociale face aux habitudes collectives. Le temps n’est jamais neutre. Il porte toujours des valeurs, des rapports de pouvoir, des visions du monde. En voulant imposer un temps rationnel et universel, les révolutionnaires ont appris que transformer une société ne se décrète pas seulement d’en haut.
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