Le protectionnisme industriel français 1800-1820
Guerre économique et émergence manufacturière
Illustration : Port Saint-Nicolas, Paris
Au tournant du XIXe siècle, Paris sort à peine du tumulte révolutionnaire, l’économie est fragmentée et les circuits commerciaux sont désorganisés. Pourtant, c’est dans ce chaos apparent que va naître l’un des systèmes protectionnistes les plus ambitieux d’Europe, un édifice qui marquera l’économie française.
Un contexte de rivalité intense
La France ne joue pas seule sur l’échiquier économique européen. En face, le Royaume-Uni domine déjà grâce à sa révolution industrielle. Ses textiles inondent les marchés à bas prix, sa sidérurgie bénéficie de procédés avancés. Pour les dirigeants français, la question n’est plus de savoir s’il faut protéger l’industrie nationale, mais comment le faire sans étouffer l’économie. La réponse viendra par une série de mesures progressives qui transformeront radicalement le paysage productif.
Le socle juridique existe déjà avec le code des douanes de 1791, qui offre une base solide que le Consulat puis l’Empire vont adapter à leurs ambitions. Mais c’est entre 1806 et 1810 que le dispositif prend toute son ampleur avec les décrets de Berlin et de Milan, instaurant le fameux Blocus continental.
Le Blocus : arme de guerre et levier économique
Ce blocus n’est pas qu’un instrument militaire contre l’Angleterre. Il devient un outil protectionniste qui interdit les produits britanniques, renforce les contrôles douaniers et transforme l’Europe en un espace économique fermé. Les droits de douane s’envolent, les inspections se multiplient. Pour les industriels français capables de s’adapter, c’est une opportunité inespérée.
L’État ne se contente pas d’interdire, il encourage activement à entreprendre. Le décret d’octobre 1810 encadre les manufactures, fixe des normes, mais offre aussi des privilèges aux innovateurs. Les nouvelles filatures, les forges modernisées, les sucreries de betterave bénéficient d’un soutien institutionnel décisif. La Société d’encouragement pour l’industrie nationale, créée en 1801, diffuse les connaissances et oriente les investissements.
Des résultats contrastés
Dans le Nord et l’Est, autour de Lille, Rouen, Mulhouse ou Saint-Étienne, les manufactures textiles prospèrent et modernisent leurs équipements. En Lorraine, les sidérurgistes exploitent la demande intérieure pour se développer. Le protectionnisme fonctionne comme un incubateur permettant aux industries naissantes de combler leur retard technique.
Mais tous ne célèbrent pas ce système. Les ports de Marseille, Bordeaux et Le Havre étouffent. Les négociants maritimes dénoncent l’asphyxie du commerce international, la hausse des prix, la détérioration des circuits. Les économistes libéraux, inspirés par Adam Smith, y voient une distorsion coûteuse qui pénalise les consommateurs. Ces critiques resteront pourtant minoritaires face à la priorité donnée à l’industrialisation.
Un héritage qui traverse les régimes
La chute de Napoléon aurait pu tout changer. Pourtant, la Restauration confirme l’essentiel du dispositif protectionniste. La loi d’avril 1816 maintient des droits élevés sur les textiles et la métallurgie. Les industriels ont appris à peser sur les décisions politiques, et l’État continue d’assumer son rôle structurant.
Ces vingt années ne constituent pas une parenthèse. Elles fondent un modèle français original où l’État demeure un acteur central de la politique industrielle. Le concept d’industries naissantes, qui sera formalisé plus tard, trouve ici ses racines. Cette période forge aussi une culture administrative et une vision géopolitique durables : celle d’une souveraineté économique comme pilier de la puissance nationale.
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