L'école libérale française 1803-1860
Quand la liberté économique devient une doctrine
Illustration : Jean-Baptiste Say
Au lendemain de la révolution et de l’empire, la France cherche ses repères. Les corporations ont disparu, les anciennes structures se sont effondrées, et les premiers réseaux bancaires émergent dans un paysage économique totalement recomposé. C’est dans ce contexte d’incertitude que va naître un courant de pensée qui marquera durablement l’Europe, l’école libérale française.
Un homme, un livre fondateur
En 1803, Jean-Baptiste Say publie son Traité d’économie politique. Ce n’est pas simplement un ouvrage théorique de plus mais une refondation complète de la discipline économique. Say y développe une idée révolutionnaire pour l’époque, sa fameuse “loi des débouchés”. Dans un système suffisamment libre, l’offre crée sa propre demande. Autrement dit, produire génère naturellement les revenus nécessaires pour consommer.
Les autorités impériales accueillent ces idées avec méfiance. Napoléon, qui préfère contrôler étroitement l’économie, ne voit pas d’un bon œil cette doctrine qui prône la limitation du pouvoir étatique. Mais dans les milieux d’affaires, le message résonne différemment. Les entrepreneurs y trouvent enfin un cadre intellectuel pour justifier leur besoin d’autonomie.
Pour rendre ses théories accessibles, Say publie en 1815 son Catéchisme d’économie politique, véritable manuel de vulgarisation qui circule parmi les administrateurs, les ingénieurs et les commerçants. Une nouvelle culture économique se diffuse, fondée sur l’esprit d’entreprise et la liberté des transactions.
Un réseau qui s’organise
Le mouvement ne reste pas isolé. Entre 1817 et 1820, Charles Comte et Charles Dunoyer élargissent la réflexion à travers Le Censeur européen. Ils ne parlent plus seulement d’économie, mais articulent leur pensée avec la philosophie politique. Moins d’état, plus d’initiatives privées, rejet du corporatisme. Le libéralisme devient une vision globale de la société.
Les années 1840 marquent un tournant décisif. Le Journal des économistes voit le jour, la Société d’économie politique organise des débats réguliers. Les chaires d’économie se multiplient au Conservatoire des arts et métiers, au Collège de France, à l’École des ponts et chaussées. Dans les salons parisiens, économistes, industriels et administrateurs se croisent et échangent. Une véritable communauté intellectuelle se structure.
La génération radicale
C’est alors qu’émerge une nouvelle génération, plus incisive, plus combative. Frédéric Bastiat publie ses Sophismes économiques entre 1845 et 1848, démontant un à un les arguments protectionnistes avec une plume acérée. Reconnu pour sa vigueur argumentaire, ses textes deviennent des armes intellectuelles dans le débat sur le libre-échange.
Frédéric Bastiat
Gustave de Molinari va encore plus loin. En 1849, il applique les mécanismes du marché aux services régaliens eux-mêmes, y compris la sécurité. Sa position provoque immédiatement la controverse, mais elle montre jusqu’où certains libéraux plus radicaux sont prêts à pousser leur logique.
Gustave De Molinari
Des débats qui divisent
Le courant libéral ne fait pas l’unanimité. Les protectionnistes, appuyés par les industries du textile et de la métallurgie, défendent la nécessité de protéger l’économie nationale face à la puissance britannique. Ils parlent d’emploi, de souveraineté industrielle et d’équilibre territorial.
Plus radicale encore, la critique socialiste se développe. Fouriéristes, saint-simoniens et révolutionnaires de 1848 dénoncent les insuffisances du marché et proposent des modèles alternatifs d’organisation économique. Bastiat leur répondra en soulignant les dangers des planifications centralisées.
Même au sein du mouvement libéral, les tensions existent. Des modérés comme Michel Chevalier reconnaissent à l’état un rôle structurant dans les infrastructures et la régulation monétaire. À l’opposé, Molinari défend une privatisation quasi-totale. Ces divergences préfigurent les débats contemporains sur les limites du marché.
Michel Chevalier
Le triomphe de 1860
L’apogée arrive en 1860. Le traité de libre-échange entre la France et la Grande-Bretagne, négocié par Cobden et Chevalier, concrétise des décennies de combat intellectuel. Les principes défendus depuis Say trouvent enfin leur traduction politique. L’Europe entre dans une nouvelle ère commerciale. Une période pour laquelle un article sera consacré.
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