Les Girondins 1791-1793
Une république idéaliste face aux tempêtes révolutionnaires
Illustration : dernier banquet des Girondins
Entre 1791 et 1793, le courant girondin incarne l’espoir d’une république légale et libérale où la représentation tempère les fougues populaires et où la liberté s’enracine dans les provinces autant qu’à Paris. Ce groupe naît d’un siècle qui a fait de la raison un guide politique, nourri par Montesquieu et son idéal d’équilibre des pouvoirs, par Condorcet et son universalisme fondé sur les droits naturels. Lorsque la législative s’ouvre en octobre 1791, plusieurs députés issus d’une bourgeoisie provinciale lettrée ont déjà forgé une identité commune. Pierre Vergniaud fascine par son éloquence. Guadet, Gensonné et Grangeneuve l’entourent. À Paris, Jacques Pierre Brissot anime la presse avec Le Patriote français tandis que Condorcet apporte une dimension théorique précieuse et que le couple Roland occupe des fonctions ministérielles durant l’année 1792.
Ces personnalités ne constituent pas un parti au sens moderne, mais leurs votes concordants et leur vision commune de la Révolution finissent par leur donner une identité collective reconnue par leurs adversaires puis par l’histoire. Le mot Girondin s’impose par l’usage.
La guerre comme horizon politique
Leur position sur la guerre joue un rôle majeur dans leur ascension après la fuite du roi à Varennes qui a fissuré la monarchie constitutionnelle. Brissot en est le promoteur le plus tenace en défendant l’idée que la Révolution doit se protéger par les armes et offrir aux peuples d’Europe un exemple. Vergniaud affirme que la patrie doit montrer ce que peut un peuple libre dans un discours qui enthousiasme les milieux commerçants et les négociants portuaires. À l’inverse, cette ligne inquiète la Montagne qui y voit un prétexte pour renforcer l’exécutif et les Jacobins proches de Robespierre accusent Brissot de pousser à un conflit dont il ne mesure pas les risques. La guerre est pourtant déclarée en avril 1792, mais les succès militaires ne sont pas au rendez-vous.
Les Girondins tentent alors de maintenir une position intermédiaire entre les exigences de la rue et la défense de la légalité. Leur refus d’encourager les journées insurrectionnelles les place en décalage avec les patriotes parisiens. Lors du procès du roi, ils se divisent sur la peine à appliquer et rejettent l’exécution immédiate, souhaitant une sanction respectueuse de la légalité nouvelle. Ce choix les isole face à une capitale qui réclame justice sans délai et la Montagne exploite cette tension en faisant d’eux des modérés incapables de trancher, accusés d’indulgence envers la royauté.
Un projet cohérent balayé par la violence
Au-delà des péripéties parlementaires, le courant élabore une conception rigoureuse de la république représentative contre toute forme de démocratie directe. Ils considèrent que la souveraineté s’exprime par les élus et non par des insurrections permanentes, que la révolution doit s’enraciner dans les provinces et se méfient de la centralisation parisienne. Sur le plan économique, ils plaident pour un libéralisme modéré en défendant la propriété et la liberté du commerce tout en s’opposant aux mesures comme le maximum des prix imposées sous la pression populaire. Le projet de constitution rédigé par Condorcet en février 1793 synthétise ces positions avec un suffrage universel masculin, une séparation renforcée des pouvoirs et des garanties juridiques remarquables pour les libertés publiques.
Le 2 juin 1793 scelle leur destin. Paris encercle la convention et livre une trentaine de députés à l’arrestation. En octobre, vingt et un d’entre eux montent à l’échafaud après un procès devant le tribunal révolutionnaire. Mais leur disparition ne met pas fin à leur influence puisque plusieurs villes s’insurgent durant l’été en se réclamant de leur idéal. Après la chute de Robespierre, leurs idées trouvent un écho sous le directoire et nourrissent au XIXe siècle les républicains modérés qui tentent d’inventer une tradition libérale distincte du jacobinisme. Ils incarnent la république idéaliste qui voulait concilier liberté et ordre légal, et leur voix résonne encore par la clarté intellectuelle de leurs discours et la dignité de leur destin tragique.
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